"Dynamitage du secret professionnel"
lundi 24 avril 2006
L’ANAS a pu se procurer des
extraits des projets de lois (2) élaborés par le ministère de la Justice
Ainsi, l’article 5 du projet de loi de
Pascal Clément, intitulé « Consécration législative du secret
partagé » prévoit la levée du secret « aux professionnels (...) qui,
dans l’exercice d’une mission tendant à la protection de l’enfance ou à la
prévention et la répression des infractions, partagent une information à
caractère secret, (...) dès lors que l’information communiquée est strictement
limitée à ce qui est nécessaire à l’exercice de cette mission (...). » Un
commentaire précise que cet ajout d’un alinéa 4 à l’article 226-14 du code pénal
« permettra la mise en œuvre du secret partagé, notamment par les
travailleurs sociaux et les professionnels de santé, ou au sein des instances
partenariales de prévention de la délinquance. »
Dans le même temps, le Ministre de
l’Intérieur prépare un projet de loi qui dans son article 1er place le Maire en
position d’animer et de coordonner « sur le territoire de sa commune la
prévention de la délinquance. Il préside les instances de coopération qui ont
pour but cette prévention ». L’article 5 du même texte prévoit que
« Tout professionnel qui intervient au bénéfice d’une personne présentant
des difficultés sociales, éducatives ou matérielles, est tenu d’informer le
maire de la commune de résidence ou son représentant ».
Les deux projets préparés séparément
sont complémentaires : Nicolas Sarkozy organise un cadre législatif
favorisant la circulation de l’information (place du Maire, relation entre
celui-ci et un coordonnateur nommé par lui, multiplication des Contrats Locaux
de Sécurité et de Prévention de la Délinquance
Ce travail masqué s’oppose au projet
de réforme de la protection de l’enfance initié par le ministre de la famille
Philippe BAS. Cette réforme, construite dans la clarté après de véritables
temps de concertation avec les professionnels du secteur médical, social et
judiciaire, a permis de trouver un accord sur une proposition améliorant le
cadre légal du secret professionnel. Il permet aux intervenants médico-sociaux
une action efficace et respectueuse des personnes. Tout ce travail risque
d’être détruit par une nouvelle modification du cadre législatif du secret
professionnel.
Le ministre de l’Intérieur vient
d’inviter les associations professionnelles du secteur social à le rencontrer
« pour consultation » sans les avoir informées de ce projet de
modification de l’article 226-14 du code pénal. L’ANAS dénonce les pratiques et
les choix engagés par les ministres de la justice et de l’intérieur qui inscrivent
leur action dans une visée sécuritaire et répressive des populations les plus
fragiles. Elle invite l’ensemble des acteurs professionnels du médical et du
social mobilisés depuis 2004 à répondre avec force à cette nouvelle tentative
d’atteinte au droit des personnes à être aidées. Nous prenons contact avec les
organisations professionnelles du médical et du social en vue de demander une
audience au Président de la
République. Nous
4 exemples concrets pour
illustrer les dérives de cette modification de la levée du secret professionnel
Si les faits délictueux sont
dorénavant transmissibles d’un professionnel médical ou social vers le
représentant du maire ou un policier, voici, à partir de quatre exemples
concrets, ce que cela provoque.
Une mère parle à une
assistante sociale de son fils qui fume du cannabis et de son désarroi face à
cette situation : Aujourd’hui Information
soumise au secret professionnel : Rend possible un travail, dans un climat
de confiance, avec interventions de personnels sociaux et médicaux de soutien
pour l’ensemble de la famille. Cela constitue aussi un bénéfice pour la
société. Demain ? Si dénonciation, impossibilité de
travailler en confiance. Intervention de la police et présentation du mineur
devant le juge des enfants. La défiance entre les parents et l’assistante
sociale ne permettra plus la révélation de la difficulté rencontrée. Le
problème se révélera tardivement alors que le secret permet qu’il soit pris en
compte rapidement.
Un médecin reçoit une personne
toxicomane en phase active de consommation : Aujourd’hui
Information soumise au secret professionnel : Rend possible un travail de
soin, dans un climat de confiance. Cela permet aussi un accompagnement
psycho-social favorisant la réinsertion et la mise en oeuvre d’un programme
de substitution négocié avec le patient. Demain ? Si
dénonciation, Intervention de la police et présentation du toxicomane à la
justice. impossibilité de travailler en confiance. Comment parler de cette
pathologie et de ses conséquences ? Favorise l’exclusion de la personne,
accroît le risque pour la personne (moins de soins) et la société (dérive
possible vers la délinquance).
Un éducateur de rue rencontre
un jeune en voie de marginalisation ayant commis un délit Aujourd’hui
Information soumise au secret professionnel : Rend possible un travail
dans un climat de confiance, avec intervention éducative favorisant la
réparation, une ré-insertion sociale, mais aussi l’inscription du jeune dans
l’élaboration d’un projet de formation ou professionnel. C’est l’ensemble de la
société qui y trouve un bénéfice. Demain ? Si
dénonciation, Convocation du contrevenant par la police : perte de
confiance du jeune à l’égard de l’éducateur. Renforcement de la dissimulation
de faits délicteux empéchant le professionnel de travailler la signification
des actes posés par jeune. Le problème se révélera tardivement, lorsque des
actes de délinquance multiples amèneront à une arrestation. Le jeune comme la
société seront perdants.
Une personne au RMI déclare à
un assistant social devoir travailler « au noir » pour survivre
Aujourd’hui Information soumise au secret professionnel :
Rend possible de travailler avec la personne son rapport au cadre légal, le
risque qu’elle court dans cette situation, le bénéfice immédiat (argent pour
survivre) mais aussi les risques à long terme si la situation perdure. Il
s’agit pour le professionnel d’aider la personne à régulariser rapidement sa
situation dans le respect du droit et de lui faire prendre conscience des
risques qu’elle encourt à ne pas le faire. L’intervention sociale engendre
ainsi des bénéfices pour la société. Demain ? Si
dénonciation, contrôle et éventuellement recouvrement des indus, perte des
prestations et nouvelle demande de RMI après 3 mois sans aucun ressources.
Conséquence : la personne ne révélera plus l’existence d’un éventuel
travail illégal. Elle pourra obtenir des aides plus facilement puisqu’une
partie de ses ressources ne sera jamais dévoilé au professionnel à qui elle
était susceptible de se confier dès lors que sa parole était protégée par le secret.
Le secret professionnel permet
aux personnes de révéler des faits pouvant être éventuellement délictueux. Ces
faits sont alors traités par les professionnels soumis au secret de façon à ce
que les personnes concernées ne les renouvellent pas et modifient leur
comportement en s’inscrivant dans un cadre légal.
Le partage d’informations en
dehors de la relation d’aide provoque la défiance des personnes et l’absence de
révélation de faits éventuellement délictueux. Il invalide un travail de
prévention et de protection des personnes notamment celles qui sont les plus
démunies.
Rappelons enfin que le secret
professionnel n’est pas un frein à la révélation d’informations en vue de
protéger les personnes les plus fragiles (mineurs, personnes handicapées,
femmes victimes de violences conjugales...) dès lors que leurs intégrités
physique et morale sont menacées. Il permet de libérer la parole et
d’intervenir en toute discrétion et dans le respect de la vie privée des
personnes concernées.
Code de Déontologie des Assistants
de Service Social
Art. 3 - De la confidentialité
L’établissement d’une relation professionnelle basée sur la confiance fait de
l’Assistant de Service Social un " confident nécessaire " reconnu
comme tel par la jurisprudence et la doctrine.
Art. 15 - L’Assistant de Service
Social ne doit pas accepter d’intervenir, ni de fournir des renseignements dans
un but de contrôle.
(1) Le secret professionnel dans le
secteur médical est souvent appelé « secret médical ».
(2) Copie de ces documents peuvent
vous être adressés sur demande.