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25 octobre 2007

Les travailleurs sociaux doivent-ils être militants ?

Lien Social
Numéro 526, 6 avril 2000

 

Les travailleurs sociaux doivent-ils être des militants ?

 

Le travail social est né du militantisme. Plusieurs décennies après la professionnalisation, quel rapport a t-il conservé avec « ceux qui luttent activement pour défendre une cause » ? Doivent-ils « prôner l’action » ? Aujourd’hui, s’il fallait répondre seulement par oui ou par non à la question : « Les travailleurs sociaux doivent-ils être des militants ? » quelle serait la réponse des professionnels ? Et si l’on analysait cette réponse qu’y trouverait-on ? Deux interrogations autour desquelles 355 acteurs sociaux ont été conviés à travailler les 7 et 8 octobre 1999. La tendance a été donnée par le vote des électeurs à la fin du forum avec près de 70 % des voix en faveur du oui. L’analyse est livrée, ici, par les conclusions d’une enquête sociologique qui, au-delà du vote spontané, a cherché à déterminer les causes, les niveaux, les formes et les significations sociales de cette réponse.

 

Les travailleurs sociaux sont-ils militants par définition ? Leurs statuts, leurs fonctions, leurs activités, leurs formations les disposent-ils à cet engagement ? En somme, leur militantisme est-il conditionné par leur profession ? Et si oui, dans quelle mesure ? Y a-t-il un devoir à être militant ? Cette implication relève-t-elle d’une condition sine qua non, un fondement sans lequel le travail social n’est pas ou plus du travail social ? Cette implication entre-t-elle dans une éthique du travail social ?

 

Avant que de chercher à répondre à ces questions, il convient de s’interroger sur la représentativité des 355 électeurs. Ceci d’autant plus que la mystérieuse décision des OPCA de ne pas « labelliser » le forum de Lien Social avait entaché celui-ci de suspicion auprès d’une partie de la population des travailleurs sociaux (quand 8 colloques sur 10 sont agréés, sans grande formalité, on peut se poser des questions sur la qualité de ceux qui ne le sont pas) en même temps qu’elle privait de financement la partie dont l’intérêt avait été malgré tout suscité. D’autre part, toujours à propos de cette représentativité, on pourrait objecter que les « électeurs » ont eu pour seule obligation de s’acquitter des droits d’inscription et qu’aucune preuve n’a été exigée sur leur statut de travailleur social ou sur un mandat de représentant.

 

Néanmoins, à l’examen des professions indiquées et des fonctions remplies, on peut estimer que cette population était bien représentative des travailleurs sociaux. Au niveau des sexes on note la présence de 67 % de femmes, ce qui correspond également à la représentativité féminine chez les travailleurs sociaux. Le profil général des électeurs n’est pas non plus très différent de celui des travailleurs sociaux. Les 20-30 ans représentaient 6 %. Les 40 ans ou plus : 66 %. Les catégories sociales d’origine moyenne et supérieure (avec 60 % de la population, si l’on prend en compte la profession du père) étaient majoritaires. Plus de la moitié des électeurs étaient des éducateurs et des assistants sociaux, le reste étant très largement dispersé dans les autres types d’activités.

 

La raison du choix de la profession

 

• En priorité le changement social (19 %) : la profession de travailleur social permet d’agir sur la société, c’est une implication qui postule une action sur les rapports sociaux. Il y a là un choix de société, un véritable engagement de soi dans une perspective sociale : « Possibilité d’agir sur la modification des rapports sociaux. Établir une plus grande justice sociale et plus de solidarité » (Chef de service). Ce point de vue sur la société est une volonté de la changer, en la rendant plus équitable : « L’envie de faire quelque chose dans le domaine social, de participer au mieux-être individuel et collectif ! » (Cadre de l’action sociale).

 

• Juste derrière, l’aspect relationnel (17 %) : les relations dans la profession de travailleur social sont jugées comme étant des relations de qualité, à l’opposé des relations quotidiennes fondées sur l’échange marchand ou sur le rapport de pouvoir. Le travail social autorise des échanges supposés authentiques fondés sur la confiance et la réciprocité : « Etre en relation d’échange avec les usagers, et non pas dans une relation basée sur le profit et le bénéfice » (Éducateur). Par ailleurs, ces relations sont de l’ordre de la transmission de savoirs et de valeurs dans le cadre d’une relation d’aide. Établir une relation de confiance, c’est avant tout servir l’intérêt du public, lui apporter l’aide qu’il demande : « L’attrait pour la relation aux autres. L’envie et le goût de transmettre, et de promouvoir la personne » (Assistante sociale). « Intérêt pour la relation d’aide » (Assistante sociale). Enfin, l’une des variantes de cet aspect relationnel est la possibilité qu’offre le travail social d’aller au-devant de l’autre, de précéder ses attentes. Il y a ici le désir fort d’un pas vers l’autre, une recherche d’altérité : « Aller vers l’autre. C’est pour être en relation avec autrui » (Éducateur).

 

• Très près aussi « du côté du plus démunis » (16 %)

 

L’idée que le travail social est un moyen de s’impliquer, de s’approcher au plus près des gens en difficulté revient très souvent dans les raisons qui conduisent au choix professionnel : « Etre au plus proche des gens, en difficulté ou non » (Éducateur).

 

« Souci d’aide aux familles en difficulté » (Employé conseil en économie sociale).

 

Cette attention aux plus défavorisés est aussi un moyen d’identifier et de dénoncer l’injustice sociale : « Le refus de voir des individus laissés sur la touche » (Chef de service). « Le refus de toutes les exclusions » (Assistante sociale).

 

• En quatrième position, les parcours scolaires et professionnels (13 %)

 

Le choix du travail social est également lié, mais dans des proportions moindres, au parcours scolaire et aux impératifs conjoncturels. La nécessité de trouver une source de revenus pousse à faire un choix rapide et intéressé : « Besoin de travailler » (Assistante sociale). « A 18 ans, c’était choisir un métier qui permettait une certaine indépendance. » (Assistante sociale). La condition précaire peut aussi tenir à un changement de situation familiale qui détermine le choix d’une formation courte et rémunératrice à court terme. Le travail social apparaît alors comme un secteur porteur et motivant : « Changement de situation familiale en 2e année de droit. Nécessité d’une réorientation courte » (Assistante sociale). « Choix personnel opéré pour le remue-ménage qu’il implique et exige » (Formateur). Cette nécessité se retrouve également chez les personnes souhaitant opérer une reconversion professionnelle : « Après 15 ans dans le bâtiment j’ai saisi une opportunité ; cela à l’aide de la formation empirique apprise au travers de la pratique militante » (Éducateur). « Licenciement économique de mon ancienne activité d’analyste-programmeur » (Assistant social)

 

• Presqu’à égalité, l’histoire familiale (12,5 %)…

 

D’autres, quant à eux, invoquent les rencontres déterminantes ou l’influence de la famille, notamment des parents s’ils travaillent dans ce domaine ou s’ils mènent des actions engagées, une sorte d’identification : « Mes parents directeurs d’établissement » (Éducateur). « De confession religieuse, mes parents ont toujours engagé un combat pour aider les plus pauvres et défendre les injustices sociales » (Éducateur). Cette ascendance familiale se retrouve dans les logiques de réparation que développent certains. D’origine modeste, ils tiennent à témoigner leur fidélité, leur gratitude : « L’impossibilité de trahir mes origines sous-prolétariennes et mon engagement politique » (Chef de service). « Fidélité à mon propre parcours et pour accomplir ma part de solidarité d’homme. Donc, des hommes m’ont regardé comme digne d’être soutenu, aidé… et à mon tour j’essaie de faire de même » (Éducateur).

 

• ...et le parcours de militant (11,5 %)

 

Pour d’autres encore, le choix du travail social n’est qu’une étape ou le résultat d’une longue expérience de militant, soit dans un cadre politique ou professionnel, soit dans un organisme humanitaire. L’expérience de la vie est alors pressentie comme le socle psychologique et intellectuel d’une formation aux métiers du social : « J’y suis arrivée d’abord par le militantisme au planning familial qui a débouché sur une embauche en CHRS pour femmes, plus reprise d’études, et au fur et à mesure un intérêt pour les problèmes du logement et de la ville » (Conseillère en insertion logement). « Deux ans de coopération au Burkina- Faso, théâtre d’une énorme expérience humaine sur les richesses de la communication, de la relation et de la différence, plus sensibilisation à la question du handicap mental dans les cercles amicaux » (Chef de service).

 

• En septième position le besoin d’être utile (7 %)

 

La notion d’utilité est quelques fois utilisée par les travailleurs sociaux pour expliquer leur choix. L’utilité permet de justifier l’orientation professionnelle et la situation présente, voire de se donner bonne conscience : « Envie d’être utile » (Assistante sociale). « La nécessité de me sentir utile » (Éducateur). Cette volonté d’être utile se définit d’abord par l’action menée auprès des autres en vue d’une résolution globale des problèmes sociaux : « Je voulais un métier dans lequel je me sentirais utile, c’est-à-dire produire du changement, laisser une trace, apaiser les douleurs » (Éducateur).

 

• En dernière place l’humanisme (4 %)

 

Plus précisément, l’humain ou l’humanisme sont évoqués par les travailleurs sociaux comme appel à la valorisation de la personne humaine en vue d’une consolidation des rapports humains : « Pour participer au tissage des liens sociaux et humains » (Adjoint directeur). « Raison humaniste… » (Chef de circonscription). Si le choix de la profession tient en grande partie à sa nature même — activité relationnelle au service de l’autre — la définition du travail social réaffirme à son tour la prépondérance du pas vers l’autre. La médiation sociale et l’intérêt pour l’usager sont dans ce cas une attention à ses difficultés matérielles ou psychologiques, une volonté d’y mettre un terme : le travail est ainsi considéré comme une implication dans les maux sociaux.

 

Quelle définition pour le travail social ? Dans l’ordre d’importance les définitions suivantes ont été recueillies :

 

• Un travail au service d’un public en difficulté (77.7 %)

 

Ils sont très nettement les plus nombreux à concevoir le travail social comme un accompagnement vers l’autonomie. Ils font part de l’importance cruciale pour l’usager de prendre ses propres responsabilités. Le travailleur social n’est alors qu’un relais, un médiateur, une aide ponctuelle ou complémentaire. Jamais il ne se conçoit comme le moyen absolu de résolution du problème mais plutôt comme un instrument parmi d’autres, le chemin qui conduit à une prise de conscience de la personne en difficulté. Le principe est alors d’amener celle-ci à faire usage de ses potentialités propres, de mettre en œuvre ses ressources. Le travail social est dans ce cas une « activité professionnelle, organisée et institutionnalisée » (Formatrice) ou correspond à « s’engager auprès des usagers et à trouver des réponses adaptées avec une attention aux problèmes sociaux reconstruits individuellement et collectivement dans un souci de liberté et d’autonomie. » (Assistante sociale)

 

• Un travail requérant une technicité (9.2 %)

 

Cette conception ne se retrouve que dans des faibles proportions. Pour ceux qui considèrent le travail social comme une activité fondée principalement sur la compétence technique, l’intérêt de la profession est d’apporter une précision et une qualité plus grandes dans la résolution des problèmes. Dans ce cas, c’est la formation préalablement suivie et les connaissances acquises au sein de l’activité qui fondent la valeur du travail. Activité professionnelle et activité bénévole sont alors mises dos à dos : « Une pratique qui exige le concours d’une technicité pointue empreinte d’engagements, de conviction, de militance » (Educateur). « Activité salariée qui repose sur la relation humaine qui nécessite une formation qualifiante » (Assistante sociale).

 

• Un travail de médiation (8.7 %)

 

Dans des proportions restreintes, également, on retrouve ceux qui conçoivent le travail social principalement comme un travail de médiation. Il est à remarquer que le plus souvent ils se voient comme intercesseurs de dernier recours dans le conflit qui oppose la société-institution et le particulier-usager. Leur profession est là pour résoudre ce conflit ou en diminuer la force par la prise en compte des intérêts des parties prétendument adverses et par la faveur accordée aux usagers : « L’intermédiaire entre les usagers et les décideurs. » (Assistante sociale) « Un travail de médiation, de facilitation, de passeur » (Cadre socio-éducatif, femme).

 

Autre (4.4 %)

 

Parmi eux on trouve surtout ceux qui se réclament de la défense des droits. Ils définissent leur activité comme la condition ou l’une des conditions sociales pour la conquête ou le rétablissement de la dignité humaine. Les droits sont dans ce cas considérés tantôt comme relatifs à une société tantôt comme universels, fondamentaux et inaliénables. Dans ce cas, l’idée de service public et de laïcité est clairement mise en avant pour en légitimer la défense. C’est le principe de citoyenneté qui prévaut et qui préside à la définition d’une ligne de conduite quotidienne du travail social : « Mission de service public ayant pour objet de déterminer les écarts entre l’égalité des droits et l’inégalité des situations » (Retraité, ancien Directeur). « Aider les personnes à faire valoir leurs droits ; participer au rétablissement du lien social entre les personnes ; œuvrer dans le sens de rendre à chacun la citoyenneté à laquelle il a droit » (Déléguée de tutelle). La promotion des droits passe alors avant tout par le devoir du travailleur social de défendre son propre statut : défendre les autres c’est déjà préserver les prérogatives que confère la fonction ; il s’agit de ne pas renoncer au pouvoir qui va avec la profession. Promouvoir les droits est également perçu comme une entreprise citoyenne, universelle et laïque puisqu’elle donne à chacun sans distinction la possibilité d’accéder à ses droits. L’information sur les droits doit être à la portée de tous, tout comme les services sociaux.

 

Enfin une infime minorité conçoit le travail social comme de l’assistanat. Ceux qui se réclament de cette position insistent sur la place essentielle de leur activité au sein de la société : ils la conçoivent comme une entreprise indispensable et inévitable sans laquelle les personnes en difficulté ne pourraient s’en sortir. Cette conception très peu partagée est parfois même clairement condamnée.

 

Quelles définitions pour le militantisme ?

 

Trois formules ont été données :

 

• Une action (41.7 %)

 

Les plus nombreux sont ceux qui définissent le militantisme comme une action de « lutte », « un combat ». Le militantisme est un acte fort en vue du changement social, nécessitant une implication directe. Il s’agit de mettre sur la voie de la guérison la part malade de la société. Cet engagement ne peut se mener qu’avec l’esprit de croisade, qu’avec une conviction inébranlable. « Un combat non pas seulement pour faire respecter les lois mais pour les changer, les faire évoluer » (Assistante sociale). « Lutte à plusieurs contre le non-respect des droits des personnes » (Educatrice).

 

Un engagement (32.5 %)

 

Le militantisme est synonyme d’un engagement visible. Militer c’est formaliser ses convictions, les rendre manifestes dans les activités quotidiennes. Il faut témoigner du souhait que l’on a d’améliorer la société par des démonstrations répétées et explicites. « S’engager contre les injustices sociales, les dénoncer » (Assistante sociale). « Le militantisme est la surface visible de l’engagement » (Educateur).

 

La défense d’idéaux (19.9 %)

 

Militer n’est pas un acte banal mais la promesse de ne pas rompre avec les valeurs auxquelles on est attaché, un moyen unique de les mettre en avant et de les promouvoir. « Défendre des convictions » (Conseillère en insertion logement) « Militer c’est défendre ses idées » (Conseillère en économie sociale et familiale).

 

Comment en vient-on à militer ?

 

Le choix de militer dépend de causes multiples. Aucune d’entre elles n’est réellement prépondérante dans l’explication que les travailleurs sociaux donnent de leur militantisme. Malgré tout, on peut établir, si on les combine entre elles, deux ou trois remarques significatives.

 

Premièrement, le choix de militer tient pour une part importante aux événements de la vie, au (x) parcours personnel et/ou professionnel de chacun : ces expériences sont des sources de prise de conscience ; elles rendent lucide face aux problèmes sociaux.

 

Deuxièmement, dans des proportions quasiment aussi fortes, il apparaît que le militantisme, dans le cadre professionnel, tient aux personnes rencontrées - amis, collègues et aux membres de la famille, notamment les parents. Il y a dans ce cas la volonté de revenir par son militantisme sur les engagements de ses pairs, de leur rester fidèle. C’est ainsi qu’apparait quelques fois la notion de « réparation » par laquelle les travailleurs sociaux témoignent de leur volonté de compenser par leur action présente ce qu’ils n’ont pas eu dans leur vie passée. D’autres fois encore, cette logique de réparation n’est pas là pour cicatriser une blessure de la vie mais pour confirmer ce qui était déjà connu : poursuivre le militantisme parental, approfondir le militantisme d’une personne que l’on admirait.

 

Remarquons le rapport étroit et net entre les raisons qui conduisent à choisir le travail social comme profession et celles qui amènent au militantisme. L’évocation des expériences de la vie, qui forgent un caractère et une lucidité sur le monde, est présente dans les deux cas ; tout comme l’évocation de personnes qui marquent une vie. Travailler dans le secteur social et militer sont dans ce cas deux facettes d’une même démarche, deux perspectives sur une même réalité.

 

Quels rapports travail social et militantisme entretiennent-ils ?

 

Les réponses se partagent entre ceux qui pensent que le militantisme constitue le fondement du travail social et à l’opposé, ceux pour qui le militantisme n’est qu’une partie du travail social. Par contre, il n’y a qu’une minorité de répondants pour qui le militantisme n’a pas de rapport avec le travail social. En fait, travail social et militantisme sont conçus dans le double rapport de la nécessité et de la complémentarité.

 

En effet, pour une part importante des répondants, le militantisme est intimement et fortement lié à l’activité professionnelle, par « nature ». Il y a là une exigence personnelle et professionnelle, une obligation morale, une condition sine qua non. Autrement dit, pour cette partie importante de la population, la pratique du travail social est indissociable du militantisme. Dans ce cas, il est à remarquer le rapport étroit entre la manière dont les individus conçoivent et définissent le militantisme, et le fait de militer ou non. Plus on considère le militantisme comme étant indispensable au travail social, plus on a tendance à militer dans le cadre de l’activité professionnelle (84 % de ceux qui considèrent le militantisme comme étant le fondement du travail social militent effectivement, contre seulement 70 % chez ceux pour qui le militantisme est seulement une partie du travail social).

 

Ceux pour qui les rapports qui lient travail social et militantisme relèvent de la complémentarité, pensent quant à eux que ces rapports sont plus distendus, plus ténus. Des liens étroits existent malgré tout mais ils témoignent d’un attachement moins fort à la question du militantisme. Cependant, la complémentarité du militantisme ne renvoie pas à son inutilité éventuelle. Il demeure un point fort du travail social ; en aucun cas il n’est considéré par cette frange de la population comme superflu. En somme, il concourt à la bonne marche de l’activité professionnelle.

 

Le militantisme au quotidien

 

La grande majorité des réponses qui insistent sur l’importance du militantisme déclarent accorder une place prépondérante à l’action quotidienne. Grands discours et idéaux sont considérés comme nécessaires mais relégués au second plan : militer c’est avant tout s’impliquer ici et maintenant, dans le constat présent des problèmes ; c’est trouver des solutions concrètes, maîtriser et mesurer dans l’instant la singularité des situations. « Sur le terrain, dans mon action quotidienne, par l’écoute, par la dénonciation des injustices subies, travail d’analyse. » (Assistante sociale) « Au quotidien. » (Educatrice) « En me posant la question chaque jour de qu’est-ce que je fais, pour qui, pourquoi ? » (Assistante sociale)

 

Militer c’est prendre parti, prendre position en faveur du public ; et envers l’institution. Les travailleurs sociaux conçoivent alors leur militantisme comme un arbitrage des problèmes rencontrés quotidiennement : ils admettent volontiers que public et institution ne peuvent dialoguer sans leur entremise. L’opposition à l’institution et à la hiérarchie est alors la voie la plus souvent admise même si certains conviennent qu’un partenariat entre institution et public est possible. Dans un cas comme dans l’autre, les travailleurs sociaux pensent que les intérêts des deux parties en présence sont contradictoires ; c’est pourquoi leur devoir est de privilégier ceux du public au risque de contrarier et de contredire ceux de l’institution (Etat, hiérarchie, etc.) « Au quotidien face aux responsables qui nient les règles les plus élémentaires des droits des salariés (notamment des fonctionnaires). » (Assistante sociale) « En dénonçant les abus de pouvoir des différentes administrations et en accompagnant les personnes à faire valoir leurs droits. » (Assistante sociale) « Je milite pour la transparence des objectifs travaillés avec les personnes (pas d’objectifs occultes) et pour l’engagement des partenaires professionnels et des habitants dans des pratiques sociales innovantes. » (Educatrice)

 

Leur statut de médiateurs privilégiés est ainsi à la fois l’enjeu de leur militantisme, et l’une des raisons qui les y conduit : si leur condition effective de médiateurs leur ouvre la voie du militantisme, leur engagement les amène à renforcer avec conviction cette fonction d’intermédiaire. Dans le quotidien aussi, donc, se retrouve l’intimité entre travail social et militantisme.

 

Ceci montre bien à quel point les travailleurs sociaux tiennent à la réinvention quotidienne des termes et des enjeux de leur fonction. Leur activité n’a de sens véritable que dans sa mise en question régulière, notamment par l’attention constante portée aux usagers. Si, pour beaucoup, cette interrogation passe par la mise en vis-à-vis de l’institution et des usagers, elle passe aussi par le souhait d’humaniser le rapport au public ; ceci, d’une part à travers la volonté de promouvoir plus encore leur condition ; d’autre part, par l’effort pour se faire les porte-parole de leurs attentes, et les porter à terme.

 

Enfin, par l’exigence de respect et de personnalisation du suivi : l’aide n’est réellement profitable que si elle s’octroie dans la dignité des bénéficiaires, au cas par cas, mais sans traitement de faveur. « Au quotidien, pour obtenir dans la durée des modifications profondes. » (Assistante sociale) « En essayant de respecter au mieux l’usager, en l’écoutant le mieux possible. » (Assistante sociale) « Au quotidien, pour faire entendre la parole des habitants, avec eux dans des associations de quartier : émergence de revendications collectives, organismes… » (Animatrice). D’autre part, l’analyse des propos tenus sur le quotidien met à jour la relation entre défense des usagers et défense du travail social lui-même. Prendre parti pour le public c’est clairement militer pour des conditions de travail satisfaisantes. La qualité du service rendu tient en grande partie à la volonté de faire progresser la profession tant pour ce qui est de l’organisation interne, du statut de chacun, que des actions quotidiennes.

 

La défense de la qualité du travail social passe également par l’objectivité avec laquelle sont traités les problèmes des usagers. Le désir d’équité et d’impartialité est au cœur de cette démarche : défendre sa fonction permet de promouvoir les droits de l’autre. Ici encore, l’altruisme ne peut se concevoir sans une interrogation sur sa propre condition, et inversement. « Par la défense de la qualité de la prestation de service à rendre aux usagers. » (Adjoint technique) « En faisant correctement mon travail, en faisant attention afin d’éviter les jugements de valeur. » (Educateur) « En défendant la qualité du travail social. En luttant contre la logique économique. » (Educateur)

 

Si la grande majorité des travailleurs sociaux exerce le militantisme au quotidien, d’autres affirment que leur engagement se fait par le biais d’une structure syndicale. « Adhésion à un syndicat. » (Cadre de l’action sociale) « Syndicalement. » (Assistante sociale)

 

Qu’ils évoquent ce moyen sans vraiment insister sur son importance ou qu’ils en détaillent les termes (notamment les implications d’ordre hiérarchique), ils n’accordent pas au syndicat une place privilégiée dans le travail social et le militantisme. Cette structure permet d’avoir des outils de lutte supplémentaires pour le progrès de la profession, et donc pour celui des usagers, sans pour autant qu’elle soit une condition obligée ; dans le combat militant, elle est bien plus conçue comme un complément. « Dans un syndicat, mais ça n’a rien (ou pas grand-chose) à voir avec le militantisme professionnel tel que je le conçois. » (Educatrice spécialisée) « J’exprime mes opinions. Adhésion à la CFDT mais ne signifie pas militer. » (Enseignante)

 

Les autres formes de militantisme évoquées concernent une part minime de la population. Alors que l’engagement politique est ressenti comme peu adapté dans le cadre du travail social (comme nous l’avond vu plus haut), des responsabilités au sein d’associations ou du comité d’entreprise sont ressenties par certains comme une voie intéressante dans la défense des usagers, et de leur condition propre.

 

Le militantisme en dehors du travail

 

Si le travail social est très souvent le vecteur d’activités militantes, il en va de même dans le cadre extra-professionnel. Les trois quarts des personnes interrogées déclarent ainsi militer en dehors de leur activité salariée (notamment dans le cadre d’une activité associative), soit sensiblement la même proportion que ceux qui militent au sein même de cette activité. Il y a une continuité entre ces deux cadres de vie, à tel point qu’il est peu concevable pour un travailleur social de limiter son militantisme aux frontières de sa profession. Militer ce n’est en aucune manière militer à temps partiel. Il s’agit bien plutôt d’un état d’esprit qui sous-tend la vie entière de l’individu.

 

Et, inversement, il serait impensable de militer au dehors sans militer en dedans (du-dedans) : là encore, pas de rupture entre les segments de vie. On retrouve ici la logique du militantisme chez les travailleurs sociaux : militer ne relève pas de la pure rationalité professionnelle et technique, de la seule compétence ; militer passe aussi et souvent par le dépassement des cadres étroits des représentations et des pratiques sociales du militantisme : l’engagement n’a alors de règles que celles que chacun veut bien se donner en accord avec sa conscience, en adéquation plus ou moins forte avec les impératifs du moment (professionnels ou non).

 

Regard des non-militants sur les militants

 

Si une minorité de travailleurs sociaux déclare ne pas militer (forte minorité malgré tout puisqu’équivalente à un quart de la population), il est intéressant de prendre en considération ses points de vue sur les confrères militants. C’est ainsi que l’on constate que s’ils ne militent pas, ils ne s’opposent pas pour autant à ce type d’actions.

 

La quasi-totalité d’entre eux pense en effet que le militantisme ne va pas à l’encontre du travail social. Ces travailleurs sociaux sont d’ailleurs les premiers à aller au-delà de cette non-contradiction et à souscrire un accord de principe qui conduit un grand nombre d’entre eux à louer explicitement les mérites de ceux qui militent. Militer est pour eux un signe de bravoure, la marque d’une qualité humaine indéniable. Leur accord avec les travailleurs sociaux qui militent est ainsi plus qu’une simple acceptation : ils ne font pas que les tolérer, ils les comprennent et les vantent. « Bravo ! » (Assistante sociale). « Un acte courageux dans certaines situations ; un dérapage dans d’autres moments » (Moniteur). « Que du bien » (Educateur). « Ce sont des mecs biens » (Educateur).

 

Pour d’autres, par contre, leur non-opposition avec les militants n’est pas pour autant un accord total et définitif ; ils déclarent admettre une pratique de ce genre tout en faisant part de leurs hésitations quant à une complète compréhension. L’accord avec les militants se teinte ainsi de nuances plus ou moins fortes sur les modalités et les degrés du militantisme. Militer est conçu dans ce cas comme un acte intéressant dans la mesure où il demeure encadré dans des limites bien définies ou à définir. Le militantisme n’a ainsi de valeur que dans la vigilance avec laquelle on le pratique. C’est pourquoi cette catégorie de non-militants n’accepte pas a priori le militantisme chez les confrères, mais au cas par cas, et a posteriori, après analyse. « Je trouve cela intéressant à partir du moment où il y a dialogue, ouverture, contre-pouvoir ; mais ce qui me gêne parfois c’est la langue de bois et le corporatisme » (Educatrice). « Ils ont raison. Cela les regarde. Dans la mesure où cela n’est pas violent, intolérant, où la parole de l’autre n’est plus écoutée. Je ne suis pas pour un dogme mais pour le militantisme non pour un militantisme. » (Educatrice). « Tout dépend des idées qu’ils prônent et de leurs arguments, de la manière dont ils les imposent. » (Assistante sociale). « Joyeux et parfois dangereux. Amalgame entre projet personnel et trajet professionnel » (Chef de service).

 

Enfin, remarquons que pour les non-militants qui déclarent s’opposer au militantisme dans le travail social, le principal argument est l’incompatibilité entre convictions personnelles et engagement professionnel. On retrouve ici l’ambiguïté même de la définition du militantisme qui oscille entre convictions intimes et occupation publique, entre engagement désintéressé et activité salariée. « Souvent ils ne sont pas à l’écoute, ils débordent, amalgament problématique personnelle avec idéologie ou éthique professionnelle » (Assistante sociale). « Ils mélangent souvent tout pour couvrir leur “improfessionalité” » (Educateur).

 

Sous forme d’une modeste conclusion nous dirons que si le rapport des travailleurs sociaux au militantisme reste problématique puisque ambigu, leur définition de leur propre métier n’en est pas moins floue, l’un découlant de l’autre. Et s’ils ont du mal à élucider et/ou à évoquer les attaches qui les lient au militantisme c’est qu’ils ont « une difficulté à définir quelles sont réellement leurs tâches, et difficulté à les réaliser » (Robert Castel, « Du travail social à la gestion du non-travail », Esprit, Mars-Avril 1998, pp.28-47). Et cela d’autant plus que les liens avec le militantisme sont étroits.

 

En fait, le rapport de réciprocité forte entre travail social et militantisme détermine les enjeux du débat. Si le travailleur social n’est ni un pur technicien ni un médiateur neutre, il n’est pas non plus un philanthrope amateur au service d’une cause désintéressée. Entre ces deux extrêmes il trouve les voies de sa propre acceptation et les niveaux d’un possible compromis. Mais quel est donc dans ce cas l’espace de liberté qu’il s’octroie, quelle est donc la situation d’entre-deux qu’il s’aménage ? Le travailleur social n’a pour seule possibilité que de prendre la mesure des contraintes qui fondent sa profession (Histoire, institution, public, outils et moyens de travail, etc.) et d’en faire usage au quotidien, la négociation personnelle toujours recommencée donnant ainsi sens à l’ambivalence d’une fonction à réinventer.

Khalija Zahi et Jocelyn Lermé

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