Les banlieues
LES BANLIEUES
Deux ans après les émeutes de l'automne 2005, qui avaient
débuté le 27 octobre après la mort de deux adolescents à Clichy-sous-Bois, en
Seine-Saint-Denis, la situation n'a pas fondamentalement évolué dans les
banlieues françaises. Personne n'a oublié le lourd bilan de trois semaines
d'affrontements : 10 000 voitures brûlées, 300 bâtiments incendiés, 4 700
arrestations.
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Aujourd'hui, élus locaux et responsables associatifs évoquent des quartiers
"sensibles" en situation de grande fragilité. "On est en
permanence à la merci d'un incident qui déclenche des violences", note
Pierre Cardo, maire de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), député UMP. "Le
cycle des violences dans les banlieues n'est pas terminé. On ne sait pas
comment, ni où, mais ça peut toujours repartir", explique Jean-Pierre
Balduyck, maire PS de Tourcoing (Nord).
Les promesses du gouvernement Villepin de "faire de ces quartiers
sensibles des territoires comme les autres de la République la Fédération Léo-Lagrange.
Dans ce contexte, la démarche de concertation lancée en octobre par la
secrétaire d'Etat à la politique de la ville, Fadela Amara, pour préparer un
nouveau "plan banlieue", laisse les acteurs locaux sceptiques.
"On n'est pas en manque de diagnostic ou d'expertise sur les banlieues.
Il faut passer à l'action, et non demander l'avis d'adolescents de 15 ans sur
un blog", s'insurge Karim Zéribi, président d'APC Recrutement,
association qui met en relation entreprises et jeunes diplômés des quartiers. "On
va débattre des sujets sur lesquels nous débattons depuis des lustres. J'aurais
préféré avoir des propositions concrètes", ajoute M. Cardo.
Sur le terrain, le principal point noir reste l'emploi. L'ANPE souligne
certes que le nombre de demandeurs d'emploi dans les ZUS (zones urbaines
sensibles) a évolué comme dans le reste du territoire, avec une baisse d'un peu
plus de 10 % entre 2005 et 2006. Mais le taux de chômage demeure, globalement,
deux fois plus élevé dans les ZUS. Malgré les actions des missions locales et
de l'ANPE, l'insertion sociale par le travail demeure problématique. "Il
n'y a pas de signe tangible d'évolution. Les entreprises continuent de ne pas
faire confiance aux jeunes, jamais assez bien formés, et aux vieux, qui ont le
malheur d'avoir plus de 50 ans", souligne ainsi Gilbert Roger, maire
socialiste de Bondy (Seine-Saint-Denis).
Depuis 2005, avec la hausse du marché immobilier, la situation du logement
s'est dégradée pour les milieux populaires. "En Ile-de-France, c'est
aujourd'hui plus difficile pour un jeune d'accéder à un logement autonome que
de trouver un emploi", relève Michel Abhervé, un des responsables de
l'Union nationale des missions locales (UNML). "Je n'avais jamais eu de
rentrée avec autant de demandes de logements sociaux à Evry. Cela se traduit
notamment par une grande difficulté, pour les jeunes couples, à quitter le
domicile parental", constate le maire d'Evry, Manuel Valls.
L'Etat et les collectivités locales ne sont pourtant pas restés inactifs.
Les politiques de rénovation urbaine (réhabilitation et reconstruction de logements)
et de réussite éducative (réseaux de suivi des élèves décrocheurs) sont
unanimement saluées. Mais ces dispositifs, mis en place avant les émeutes de
2005, sont jugés insuffisants. "La rénovation urbaine est positive.
Mais ce sont les moyens humains, les professionnels adultes, qui permettent de
maintenir le lien social. Or, la tendance est à la diminution des moyens avec
le non-remplacement d'une partie des fonctionnaires", explique
Stéphane Ouraoui, président de l'association Pas de quartier, tous citoyens.
Malgré l'affectation de moyens supplémentaires après les émeutes, les
associations sont toujours confrontées à des difficultés de financement. Elles
se plaignent des retards de paiement des subventions et de leur remise en
question annuelle par l'Etat. "Les forces vives se démènent avec des
bouts de ficelle dans les quartiers", souligne Karim Zéribi, président
d'APC recrutement.
Elus et responsables associatifs s'alarment aussi des tensions constantes
entre la population et la police. "Sur le terrain, il y a régulièrement
des troubles entre les forces de l'ordre et des jeunes de 14 à 18 ans qui sont
un peu laissés à eux-mêmes", constate Hassan Ben M'Barek, membre du
Conseil national des villes (CNV). La critique vise l'organisation de la police
voulue par Nicolas Sarkozy en 2002. "Il n'y a pas de confiance. Les
policiers, sur le terrain, font ce qu'ils peuvent mais ils manquent de relais,
faute de disposer d'une police de proximité", relève Gilbert Roger,
marqué par le caillassage récent de policiers et de pompiers, à Bondy, lors
d'une intervention sur l'incendie d'une crèche.
Les maires de droite comme de gauche insistent aussi sur le comportement
antirépublicain de groupes de jeunes en situation de rupture. "On a
toujours une partie de la population qui se met en marge de la société et
s'oppose à l'autorité de l'Etat", note Pierre Cardo. Des attitudes de
rejet qui visent aussi les élus. "Beaucoup de maires signalent qu'ils
sont aussi visés dans les agressions", s'inquiète Jean-Pierre
Balduyck. Ces élus rappellent que les effets de la politique de la ville se
mesurent sur des décennies, voire des générations.
Luc Bronner
Article paru dans l'édition du 26.10.07.
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